Cass., avis n°15004, 24 mars 2014, n° 13-70.010

Après sa naissance, un enfant a principalement vécu avec son père. Aux 12 ans de l’enfant, son père est placé sous curatelle et décède le 21 octobre 2011. L’enfant est alors accueilli par la curatrice. Le juge aux affaires familiales fixe la résidence de l’enfant au domicile de cette dernière jusqu’à la fin de l’année scolaire en cours. Quelque temps plus tard, il décide d’ouvrir une tutelle au profit du mineur et la défère au conseil général du Doubs « avec maintien de l’enfant au domicile de sa mère, sous réserve d’une meilleure appréciation du conseil général, et avec une conservation des liens si possible » avec la curatrice et, en cas de placement dans une famille d’accueil, avec sa mère. Peu après, le conseil général interroge le juge des tutelles concernant la conciliation de l’exercice de l’autorité parentale et de la tutelle.

C'est dans ce contexte que le tribunal de grande instance de Besançon saisit la Cour de cassation d’une demande d’avis formulée dans les termes suivants : « Dans le cas, prévu à l’article 391, alinéa 1er, du code civil, d’ouverture d’une tutelle à l’égard d’un mineur placé sous l’administration légale sous contrôle judiciaire de l’un de ses parents, l’administrateur légal sous contrôle judiciaire perd-il l’exercice de l’autorité parentale au profit du tuteur de l’enfant ou, à défaut, comment et le cas échéant sous le contrôle de quel juge, se concilient l’exercice de l’autorité parentale de l’administrateur légal sous contrôle judiciaire et le pouvoir de tutelle confié au tuteur ? ».

Estimant que la question n’est pas nouvelle et ne présente pas de difficulté sérieuse, la Cour de cassation rejette la demande d’avis et énonce que « la tutelle prévue à l’article 391 du code civil a pour seul objet de pallier la carence de l’administrateur légal dans la gestion des biens du mineur et ne porte pas atteinte à l’exercice de son autorité parentale ». Elle rattache directement cette solution à sa - certes rare - jurisprudence antérieure. Par le passé, elle avait en effet déjà pu retenir ce principe, alors qu'elle soumettait auparavant la limitation de la tutelle aux biens du mineur à la vérification que le parent était en mesure d’exercer l’autorité parentale.

La motivation retenue par la Cour de cassation pour rejeter la demande d’avis est techniquement justifiée. En cas d’administration légale sous contrôle judiciaire et, pour cause grave, en cas d’administration légale pure et simple, une tutelle peut être ouverte à l’égard d’un mineur. Cette faculté trouve sa source dans l’article 391 du code civil. De son côté, l’article 382 du code civil dispose que « les père et mère ont, sous les distinctions qui suivent, l’administration et la jouissance des biens de leur enfant ». La combinaison de ces textes permet de dire que la tutelle ouverte sur le fondement de l’article 391 du code civil se substitue à l’administration légale et ne modifie pas les règles de l’exercice de l’autorité parentale. En ce sens, l’article 389-7 du code civil dispose que « les règles de la tutelle sont, pour le surplus, applicables à l’administration légale, avec les modalités résultant de ce que celle-ci ne comporte ni conseil de famille ni subrogé tuteur, et sans préjudicier, d’autre part, aux droits que les père et mère tiennent du titre "de l’autorité parentale", notamment quant à l’éducation de l’enfant et à l’usufruit de ses biens ». Par comparaison, l’article 390 du code civil prévoit l’ouverture d’une tutelle de plein droit « lorsque le père et la mère sont tous deux décédés ou se trouvent privés de l’exercice de l’autorité parentale » ou si la filiation de l’enfant n’est pas légalement établie. La mesure porte alors tant sur la personne que sur les biens du mineur, ce qui est justifié en l’absence de parents exerçant l’autorité parentale.

L’articulation entre la tutelle ouverte sur le fondement de l’article 391 du code civil et l’autorité parentale ne pose pas de difficulté. Les parents conservent en effet l’exercice de l’autorité parentale tandis que le tuteur gère les biens du mineur. Un tel découpage entre la protection de la personne et des biens peut se retrouver concernant les majeurs protégés (C. civ., art. 447, al. 3). Cette dichotomie, quoique simple, est toutefois loin d’être toujours parfaite, des conflits pouvant survenir entre le tuteur et les parents. Le juge compétent pour les résoudre est le juge aux affaires familiales (COJ, art. L. 213-3 et L. 213-3-1); seule l’assistance éducative ressort de la compétence du juge des enfants.

On précisera que dans l'hypothèse où le parent n’entretient pas de relations avec l’enfant et se désintéresse de lui, une tutelle complète peut être ouverte à l’égard du mineur. Dans ce cas, l’exercice de l’autorité parentale est directement remis en cause sans décision judiciaire d’abandon (C. civ., art. 350) ou de retrait de l’autorité parentale. Dans la présente affaire, les conditions pour qu’une telle tutelle soit ouverte n’étaient pas vérifiées. D’où le rappel par la Cour de cassation de la solution de principe applicable en cas d’ouverture d’une tutelle sur le fondement de l’article 391 du code civil : cette mesure est neutre concernant l’exercice de l’autorité parentale.

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