Civ. 1re, 16 déc. 2015, FS-P+B+I, n° 14-27.028

Un divorce avait, en l’espèce, été prononcé aux torts exclusifs d’un époux qui a été placé sous tutelle plusieurs années après. Son tuteur (une association tutélaire) a été autorisé à souscrire cinq contrats d’assurance-vie sur une période d’environ trois années. À son décès, l’ex-époux a laissé pour lui succéder un fils né de son union dissoute et bénéficiaire de ces contrats d’assurance. Cependant, invoquant une donation de l’universalité des biens composant sa succession que lui aurait consentie son époux pendant le mariage, l’ex-épouse a fait assigner le fils, le tuteur et son assureur aux fins de voir rapporter à la succession, sur le fondement de l’article L. 132-13 du code des assurances, le montant des primes versées sur les contrats d’assurance-vie. Elle a également appelé en la cause la société d’assurance.

Déboutée de ces demandes par les juges du second degré, la demanderesse a formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel elle avançait plusieurs arguments. Elle contestait en particulier le fait que la cour d’appel ait déclaré irrecevable son action en responsabilité intentée contre le tuteur de son ex-conjoint, sur le fondement de l’article 1382 du code civil. La cour avait pour cela retenu que l’ex-épouse n’était qu’un tiers et n’avait donc pas qualité pour intenter une telle action.

Cet aspect de la décision est censuré au visa combiné des articles 1382 du code civil et 473 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 5 mars 2007 (la solution adoptée n’en restant pas moins intéressante s’agissant des dispositions issues de cette réforme). Ainsi la Cour de cassation précise-t-elle que si l’action de l’article 473, alinéa 2, applicable aux majeurs sous tutelle par renvoi de l’article 495, tel qu’issu de la loi de 2007, est réservée au majeur protégé, à son représentant légal ou à ses ayants droit, les tiers sont recevables à rechercher la responsabilité du tuteur sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

On le sait, la tutelle permet l’engagement de diverses responsabilités. En principe, tous les organes de la mesure de protection judiciaire sont responsables du dommage résultant d’une faute quelconque qu’ils commettent dans l’exercice de leur fonction (C. civ., art. 412). L’État doit, quant à lui, répondre plus spécifiquement de plusieurs personnes dans le fonctionnement d’une mesure de protection : le juge des tutelles, le greffier en chef du tribunal d’instance, le greffier ou le mandataire judiciaire à la protection des majeurs (C. civ., art. 422).

En tant qu’organe de la mesure de protection, le tuteur n’échappe donc pas à l’éventualité de voir sa responsabilité recherchée en cas de faute commise dans l’exercice de sa mission. Le majeur protégé dispose ainsi d’une action en réparation du dommage résultant « d’une faute quelconque qui aurait été commise dans le fonctionnement de la tutelle », cette faute étant appréciée au regard des obligations qui pèsent sur la personne en charge de la mesure de protection. L’action en responsabilité ouverte par cette disposition est qualifiée d’« action attitrée » en ce qu’elle appartient uniquement aux personnes pouvant justifier d’une qualité particulière, à savoir la personne protégée ou ayant été protégée, son représentant légal et ses ayants droit. La doctrine a toutefois fait remarquer que l’existence de cette action en responsabilité attitrée n’a pas vocation à exclure le droit commun de la responsabilité délictuelle du fait personnel, de sorte que les tiers peuvent toujours agir sur le fondement de l’article 1382 du code civil. Et c’est ce que confirme ici la Cour de cassation au sujet de l’action en responsabilité des tiers contre le tuteur lui-même, les premiers devant, le cas échéant, démontrer une faute du second à l’origine d’un dommage qui leur aurait été causé.

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