CEDH, gde ch., 7 févr. 2013, Fabris c. France, n° 16574/08

Dans son arrêt de grande chambre, rendu le 7 février 2013, la CEDH décide que le refus d’accorder à un enfant adultérin les droits successoraux auxquels il pouvait prétendre en vertu de la loi du 3 décembre 2001 est contraire à l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 1er du protocole n° 1 (protection de la propriété).

En condamnant à l’unanimité la France pour violation de l’article 14 combiné avec l’article 1er du protocole n° 1, la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) adopte une position contraire à celle de l’arrêt de chambre du 21 juillet 2011, rendu dans la même affaire (CEDH 21 juill. 2007, n° 16574/08).

En effet, dans cette précédente décision, la CEDH avait estimé que l’interprétation faite par la Cour de cassation des dispositions transitoires de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001, aux termes de laquelle « les dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère étaient, au temps de la conception, engagés dans les liens du mariage, ne sont applicables qu’aux successions ouvertes au 4 décembre 2001 et n’ayant pas donné lieu à partage avant cette date », n’était pas discriminatoire en l’espèce où le partage s’était réalisé par le décès de la mère du requérant le 28 juillet 1994. Elle avait, par conséquent, conclu que l’inégalité successorale subie par le requérant, enfant adultérin, traduisait, certes, une différence de traitement mais que celle-ci était proportionnée au but légitime de garantir le principe de sécurité juridique et les droits acquis de longue date par les enfants légitimes.

La grande chambre parvient quant à elle à la conclusion inverse. Elle relève tout d’abord qu’il n’est pas contesté qu’en l’espèce, le requérant s’est trouvé empêché d’obtenir la réduction de la donation-partage dont il avait été exclu et une part réservataire en raison de son statut d’enfant adultérin. Or cette différence de traitement résulte des dispositions transitoires de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 qui met comme condition à l’application des nouveaux droits successoraux des enfants adultérins aux successions ouvertes avant le 4 décembre 2001 qu’elles n’aient pas donné lieu à un partage avant cette date. La Cour admet cependant que la différence de traitement subie par le requérant poursuit un but légitime : le principe de sécurité juridique peut, en effet, commander de protéger les droits acquis par le demi-frère et la demi-sœur du requérant dans la succession de leur mère.

En revanche, elle estime que la différence de traitement litigieuse n’est pas proportionnée à ce but légitime et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le demi-frère et la demi-sœur du requérant savaient, ou auraient dû savoir, que leurs droits étaient susceptibles d’être remis en cause : au décès de leur mère, en 1994, le requérant pouvait exercer une action en réduction de la donation-partage consentie à leur bénéfice exclusif en 1970 dans un délai de cinq ans. Ensuite, l’action en réduction, de fait engagée par le requérant en 1998, était pendante devant les juridictions françaises lors du prononcé de l’arrêt Mazurek, déclarant incompatible avec la Convention européenne l’inégalité successorale des enfants adultérins, et de la publication de la loi du 3 décembre 2001, donnant exécution à cet arrêt en supprimant les dispositions du code civil qui restreignaient les droits successoraux des enfants adultérins. Enfin, le requérant ayant été reconnu comme fils naturel de leur mère en 1983, son demi-frère et sa demi-sœur n’en ignoraient pas l’existence.

Puisqu’il n’existait pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but légitime poursuivi, la Cour conclut à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 1er du protocole n° 1. Ainsi, une succession liquidée avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001 peut-elle donner lieu à condamnation ultérieure de la France.

Il convient cependant de relever que cette condamnation de la France ne porte pas sur les dispositions transitoires de la loi du 3 décembre 2001 en général mais sur l’application qui en a été faite en l’espèce par les juridictions françaises. Commentant l’arrêt de chambre du 21 juillet 2011, un auteur avait regretté qu’il ait pour conséquence de limiter l’application de l’arrêt Mazurek aux successions non encore ouvertes au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001. Il avait, par conséquent, espéré que le renvoi de l’affaire devant une grande chambre permettrait « à la Cour de dissiper tout flottement, gravement préjudiciable à la sécurité juridique, quant à la force et à l’autorité de ses arrêts ».

Force est cependant de constater que ce flottement risque bien de persister, comme en témoigne l’opinion du juge Pinto de Albuquerque qui, bien que concordante, « désapprouve le raisonnement suivi dans l’arrêt ». C’est ainsi qu’il relève que, si la sécurité juridique plaide pour l’effet prospectif des arrêts, « la pleine mise en œuvre des droits et libertés protégés par la Convention peut exiger qu’un arrêt de la Cour soit appliqué rétroactivement ». Estimant que la disposition transitoire de la loi du 3 décembre 2001, permettant de ne pas appliquer cette loi aux successions liquidées avant son entrée en vigueur, n’est pas valable car elle continue sans raison adéquate d’établir une distinction entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage, il considère que les juridictions françaises auraient dû appliquer l’arrêt Mazurek de façon rétroactive à la succession de la mère du requérant. « Puisque cette succession n’était pas définitivement close lorsque l’arrêt Mazurek est devenu définitif, en raison de l’action en réduction engagée dans les délais par un héritier disposant d’un droit à une part réservataire mais écarté de la donation-partage, les tribunaux auraient dû considérer que Mazurek l’emportait sur les dispositions transitoires ». 

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