Cass., avis, 10 févr. 2014, n° 15001

 

La demande d’avis sur laquelle s’est prononcée la Cour de cassation a été formulée par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de La Rochelle. Elle portait sur l’application de l’article 1076 du code de procédure civile issu du décret n° 81-500 du 12 mai 1981 et repris à l’identique par le décret n° 2004-1158 du 29 octobre 2004 portant réforme de la procédure en matière familiale. Cet article prévoit, par dérogation au principe de l’immutabilité de la demande, que l’époux qui présente une demande en divorce peut, en tout état de cause, et même en appel, lui substituer une demande en séparation de corps. Une telle possibilité s’explique par une préférence ancienne accordée à l’atteinte la moins forte au lien conjugal. C’est, du reste, ce qui explique que ce texte dispose expressément que la substitution inverse est interdite.

Au cas d’espèce, une femme avait saisi le juge d’une demande en séparation de corps. La procédure a donné lieu à une audience de conciliation qui n’a pas permis de trouver un accord entre les parties. Conformément à l’article 1111 du code de procédure civile, le juge a, alors, rendu une ordonnance de non-conciliation qui autorisa l’épouse à assigner son conjoint en divorce devant le tribunal de grande instance. Celle-ci n’a toutefois pas respecté le délai imposé par l’article 1113 du code de procédure civile, qui dispose que le conjoint qui a présenté la requête initiale a la possibilité d’assigner en divorce dans les trois mois du prononcé de l’ordonnance.

C’est donc l’époux qui, plus d’une année après, a présenté une demande de divorce pour altération définitive du lien conjugal. Alors que les deux parties avaient conclu à la recevabilité de la demande, le juge aux affaires familiales a sollicité l’avis de la Cour de cassation quant au point de savoir si l’époux avait la possibilité d’assigner sa conjointe en divorce après une demande initiale en séparation de corps au regard de l’article 1076 du code de procédure civile. En effet, s’il est acquis, en vertu de ce texte, que l’époux qui a engagé la procédure de séparation de corps ne peut former, à un stade plus avancé de la procédure, une demande de divorce, l’article 1076 du code de procédure civile ne règle pas la question de savoir si l’autre conjoint est en capacité de le faire.

La demande était ainsi formulée : « L’assignation en divorce, délivrée par l’époux à la suite d’une ordonnance de non-conciliation rendue par un juge aux affaires familiales saisi par l’épouse d’une requête en séparation de corps est-elle recevable, au regard des dispositions de l’article 1076 du code de procédure civile ? ».

L’avis de la Cour de cassation a été sollicité en raison des divergences qui existent quant aux solutions adoptées par les juridictions du fond et dont le conseiller Le Cotty fait état dans son rapport. Estimant que l’interdiction posée par l’article 1076 ne concerne que la partie dont a émané la demande de séparation de corps, certaines juridictions ont retenu qu’à défaut, pour un époux demandeur en séparation de corps, de saisir le tribunal dans le délai imparti par le juge conciliateur, son conjoint est en droit d’assigner lui-même en divorce. D’autres ont, à l’inverse, jugé que l’autorisation d’assigner délivrée par le juge aux affaires familiales est toujours donnée dans la cadre d’une procédure particulière, de sorte que la demande en divorce d’un époux à la suite d’une requête en séparation de corps de son conjoint n’est pas recevable.

Comme le souligne le rapport, ces contrariétés mettent en exergue deux approches.

La première est restrictive et consiste à interpréter littéralement les dispositions de l’article 1076 du code de procédure civile. Il résulte de cette conception que l’époux non requérant ne dispose pas de la faculté d’assigner en divorce le conjoint ayant initié la procédure de séparation de corps. Seul ce dernier serait en mesure de le faire, dès lors que le juge l’y autorise dans l’ordonnance de non-conciliation.

L’autre est résolument plus souple et consiste à considérer que les dispositions de l’article 1076 du code de procédure civile ne s’opposent pas à la recevabilité de la demande en divorce du défendeur lorsque le demandeur ne l’a pas introduite lui-même dans les délais impartis. Outre le caractère aujourd’hui désuet de la justification de l’interdiction, le principal argument en faveur de cette interprétation extensive tient au fait que ladite interdiction recèle une part d’hypocrisie. L’époux défendeur à la demande initiale en séparation de corps a, en effet, la possibilité de former une demande reconventionnelle en divorce conformément à l’article 297 du code civil. Ce texte souligne une certaine incohérence qui consiste à accepter par voie reconventionnelle ce qui est refusé par voie principale. D’autant que l’article 297-1 du code civil dispose qu’en pareil cas, le juge doit statuer en premier lieu sur la demande en divorce et le prononcer si les conditions sont réunies, ce qui démontre la primauté accordée à la rupture définitive du lien conjugal depuis la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce.

C’est dans le sens d’un compromis entre ces deux conceptions que se prononce la Cour de cassation. Selon elle, hormis dans l’hypothèse où, lors de l’audience de conciliation, les époux ont accepté le principe de la séparation de corps, l’assignation en divorce délivrée par l’un d’eux, à l’expiration du délai imparti à l’autre par l’ordonnance de non-conciliation rendue sur une requête de ce dernier en séparation de corps, peut être déclarée recevable au regard des dispositions des articles 1076, 1111 et 1113 du code de procédure civile. Autrement dit, lorsque l’époux requérant autorisé à introduire une demande de divorce par l’ordonnance de non-conciliation a laissé s’écouler le délai de trois mois accordé par l’article 1113, l’autre conjoint a la possibilité de pallier cette carence en présentant lui-même la demande de divorce. Toutefois, la formulation utilisée suggère qu’il reste privé de cette possibilité pendant toute la durée du délai. La solution préconisée se situe donc à mi-chemin entre l’impossibilité faite à l’époux non requérant de substituer une demande de divorce à une demande de séparation de corps et la possibilité d’opérer ce changement de fondement à tous les stades de la procédure. Sans doute repose-t-elle aussi sur la volonté de ne pas forcer le maintien artificiel d’un lien conjugal que l’un des époux souhaite rompre, ce qui confirme le développement, depuis la loi du 26 mai 2004, de ce que le premier avocat général a qualifié, dans ses conclusions relatives à cet avis, de « droit unilatéral au divorce ».

Auteur : Editions Dalloz - Tous droits réservés.