Civ. 1re, 11 sept. 2013, FS-P+B+I, n° 11-26.751

Deux personnes se sont mariées en 1997. L’époux a introduit une requête en divorce pour altération définitive du lien conjugal. En réplique, son épouse a formé une demande reconventionnelle en divorce pour faute aux torts exclusifs de son conjoint. Ce dernier a alors sollicité le prononcé du divorce pour faute aux torts partagés. Les juges du fond ont prononcé le divorce aux torts exclusifs de l’époux, l’ont condamné à verser une prestation compensatoire à son épouse et ont déclaré irrecevable la demande de divorce pour faute introduite par le mari. Ce dernier a formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel pour violation de la loi au visa des articles 246 et 247-2 du code civil et 1077 du code de procédure civile.

Pour rejeter la demande de divorce pour faute du mari, la cour d’appel retient « que, “si”, conformément à l’article 247-2 du code civil, “dans le cadre d’une instance introduite pour altération définitive du lien conjugal, le défendeur demande reconventionnellement le divorce pour faute, le demandeur peut invoquer les fautes de son conjoint pour modifier le fondement de sa demande”, force est de constater que M. X… n’a pas modifié le fondement de sa demande initiale en divorce pour altération définitive du lien conjugal et qu’en application de l’article 1077, alinéa 1er, du code de procédure civile, toute demande en divorce fondée, à titre subsidiaire, sur un autre cas est irrecevable ».

Le raisonnement des juges du fond est donc le suivant : le demandeur au divorce pour altération définitive du lien conjugal peut modifier le fondement de sa demande en se plaçant sur le terrain du divorce pour faute (C. civ., art. 247-2). En l’espèce, le demandeur a maintenu sa demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal et a formé une demande subsidiaire en divorce pour faute. Il n’a donc pas modifié le fondement de sa demande. Pour cela, il aurait fallu qu’il renonce à sa demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal. Or, comme l’article 1077, alinéa 1er, du code de procédure civile interdit au demandeur de former une demande subsidiaire, la demande en divorce pour faute est jugée irrecevable. Ce raisonnement peut se prévaloir d’une interprétation littérale des textes. Il pose une difficulté évidente : en cas de rejet de la demande en divorce pour faute, le divorce pour altération définitive du lien conjugal ne pourra pas être prononcé puisque le demandeur a, par l’utilisation de la passerelle, renoncé à cette demande. En suivant cette interprétation, le demandeur initial devrait, pour maintenir sa demande initiale, ne pas user de la passerelle et, simplement, se défendre au fond.

La Cour de cassation adopte une analyse totalement différente. Elle estime que « l’article 247-2 du code civil ouvre au demandeur la possibilité de solliciter le prononcé du divorce aux torts partagés pour le cas où la demande reconventionnelle en divorce pour faute de son conjoint serait admise, sans le contraindre à renoncer à sa demande principale en divorce pour altération définitive du lien conjugal, pour le cas où cette demande reconventionnelle serait rejetée, de sorte que la demande de M. X… tendant au prononcé du divorce aux torts partagés ne pouvait être regardée comme une demande formée à titre subsidiaire au sens de l’article 1077, alinéa 1er, du code de procédure civile, la cour d’appel a violé, par fausse application, les textes susvisés ».

L’article 247-2 du code civil dispose que, « si, dans le cadre d’une instance introduite pour altération définitive du lien conjugal, le défendeur demande reconventionnellement le divorce pour faute, le demandeur peut invoquer les fautes de son conjoint pour modifier le fondement de sa demande ». La Cour de cassation considère que ce texte permet au demandeur de « solliciter le prononcé du divorce aux torts partagés pour le cas où la demande reconventionnelle en divorce pour faute de son conjoint serait admise ». Ainsi, la passerelle instituée par le texte précité, qui permet au demandeur de se placer sur le terrain du divorce pour faute, n’a qu’une portée relative, à savoir l’hypothèse où la demande reconventionnelle en divorce pour faute est bien fondée. La Cour de cassation ajoute que le demandeur peut renoncer à sa demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal mais il n’y est pas tenu.

Deux possibilités existent donc.

Première possibilité, le demandeur renonce à sa demande initiale en divorce pour altération définitive du lien conjugal et se place sur le terrain du divorce pour faute en usant de la passerelle. Dans ce cas, si les juges rejettent les demandes en divorce pour faute, le divorce pour altération définitive du lien conjugal ne pourra pas être prononcé, puisque le demandeur y aura renoncé.

Seconde possibilité, le demandeur ne renonce pas à sa demande initiale mais se place sur le terrain du divorce pour faute en réplique à la demande reconventionnelle. Dans ce cas, les juges examineront la demande reconventionnelle en divorce pour faute et celle faite au titre de la passerelle par le demandeur initial. S’ils prononcent le divorce pour faute, la demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal ne sera pas examinée. Si les juges ne prononcent pas le divorce pour faute, alors le divorce pourra être prononcé pour altération définitive du lien conjugal.

Pour arriver à cette solution, la Cour de cassation adopte une interprétation souple de l’article 247-2 du code civil. Pour elle, la possibilité pour le demandeur au divorce pour altération définitive du lien conjugal de se placer sur le terrain du divorce pour faute au titre de la passerelle organisée par le texte précité ne signifie pas qu’il renonce à sa demande initiale. Les deux demandes peuvent « subsister ». Pourtant, le texte précité précise bien que le demandeur peut « modifier » sa demande. De plus, ce texte est à mettre en lien avec l’article 1077 du code de procédure civile qui interdit, en principe, toute substitution de demande et toute demande subsidiaire. Dès lors, il faut admettre que le terme de « modification » au sens de l’article 247-2 du code civil ne signifie pas « substitution » au sens de l’article 1077 du code de procédure civile mais « adjonction ».

Cette solution est justifiable. Une justification technique s’infère, tout d’abord, de l’article 246 du code civil, qui est visé par la Cour de cassation dans son visa et qui règle l’ordre d’examen des demandes en divorce pour altération définitive du lien conjugal et pour faute. Cette dernière doit être examinée en premier. Sous cet angle, l’article 247-2 du code civil, qui ouvre la possibilité à l’époux demandeur à un divorce pour altération définitive du lien conjugal de se placer sur le terrain de la faute, ne doit pas le priver de la possibilité d’obtenir le divorce pour altération définitive du lien conjugal alors qu’il n’a fait que se défendre à la demande reconventionnelle en divorce pour faute de son conjoint. En opportunité, ensuite, il serait illogique de maintenir le mariage en raison de l’absence de faute des époux justifiant le prononcé du divorce alors que les conditions du divorce pour altération définitive du lien conjugal sont réunies et cela, simplement parce que le demandeur s’est défendu en introduisant, au titre de la passerelle, une demande en divorce pour faute. La ratio legis de ce mécanisme, introduit par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, vise d’ailleurs précisément à favoriser le divorce pour altération définitive du lien conjugal, il ne faudrait pas que sa mise en œuvre se retourne contre le demandeur. Au final, il restera à s’interroger sur la nature de la demande faite au titre de la passerelle dont dépend l’articulation des demandes dans les conclusions récapitulatives du demandeur…

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