TA Paris, 11 sept. 2012, n° 1216080/9

Les carences graves de Pôle emploi dans sa mission d’accompagnement d’un demandeur d’emploi durant sa recherche d’emploi, constitue, au sens de l’article L. 521-2 du code de la justice administrative, une atteinte au droit d’obtenir un emploi consacré par l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946.

Le tribunal administratif de Paris a décidé de faire droit à la requête présentée contre Pôle emploi par un demandeur d’emploi qui n’a eu, malgré des demandes formelles et répétées, que trois rendez-vous et une proposition de formation en trois ans, sans que jamais son projet d’accès personnalisé à l’emploi ne soit actualisé. Pour la première fois, une juridiction administrative, dans sa formation de référé, considère que les manquements de Pôle emploi aux dispositions de l’article L. 5312-1 du code du travail portent atteinte au droit d’obtenir un emploi consacré par l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946, caractérisant par là même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Après avoir constaté que le requérant se trouvait dans une situation financière précaire, relevant d’une situation d’urgence, le tribunal ordonne une mesure de référé-liberté en enjoignant Pôle emploi d’effectuer des entretiens et d’assurer l’accompagnement du demandeur d’emploi dans ses recherches.

Pour innovante qu’elle soit, la position adoptée par le tribunal administratif de Paris reste néanmoins critiquable quant à l’application faite des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Il n’est pas sûr, en effet, que, comme l’exige ce texte, il y ait une situation d’urgence ainsi qu’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Bien que le texte de l’article L. 521-2 du code de justice administrative vise les seules libertés fondamentales, il s’applique en réalité, bien au-delà, à tous les droits et libertés ayant une valeur constitutionnelle. Or, le droit d’obtenir un emploi mentionné à l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946 revêt une telle valeur, le Conseil constitutionnel acceptant de confronter ce droit à d’autres libertés ou droits constitutionnel, voire à le faire prévaloir sur eux. Il ne s’agit là, cependant, que d’un droit dit « créance », c’est-à-dire d’un objectif qui s’impose au législateur dans l’élaboration de la loi, mais qui ne peut être invoqué directement par les particuliers. Des auteurs se sont donc montrés défavorables à ce qu’un requérant puisse invoquer directement le droit à l’emploi à l’appui d’une mesure de référé-liberté. La jurisprudence du Conseil d’État abonde en ce sens. Si le référé-liberté a ainsi été notamment admis en cas d’atteinte au droit de mener une vie familiale normale, le Conseil n’a pas qualifié de liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le droit à la santé (CE 8 sept. 2005, req. n° 284803), le droit au logement (CE 3 mai 2002, req. n° 245697) ou le droit à un congé de formation-mobilité (CE 28 mai 2001). Il a été cependant démontré que, dès lors que le droit en question est concrétisé dans une norme, la violation de celle-ci entraîne, par voie de conséquence, la violation du droit fondamental. La mise en œuvre du droit à l’emploi devrait donc rendre applicable l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Or, les dispositions relatives au service public de l’emploi et du placement (C. trav., art. L. 5311-1 s.) sont une traduction du droit d’obtenir un emploi puisque elles visent à permettre au plus grand nombre d’accéder à un emploi. Le manquement de Pôle emploi a ses obligations caractérise donc une violation du droit reconnu à l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946.

Cependant, des doutes subsistent quant au fait que cette atteinte soit manifestement illégale. En effet, le tribunal administratif de Paris se réfère à la violation de l’article L. 5312-1 du code du travail. Cette disposition n’est, cependant, en rien génératrice d’obligations à l’égard de Pôle emploi. Elle énumère chacune des missions imparties à cette institution comme le ferait le pacte statutaire pour déterminer l’objet d’une société. En revanche, les articles L. 5411-6 et L. 5411-6-1 du code du travail auraient pu constituer le fondement de ces manquements car ils obligent Pôle emploi à orienter et accompagner le demandeur d’emploi dans ses recherches, à élaborer avec lui le projet personnalisé d’accès à l’emploi et à mettre en œuvre ce projet dans le cadre du service public de l’emploi, notamment en matière d’accompagnement personnalisé et, le cas échéant, de formation et d’aide à la mobilité. Contrairement à l’article L. 5312-1 du code du travail, ces dispositions sont, au surplus, insérées dans une sous partie du code du travail intitulée « Droits et obligations du demandeur d’emploi ».

Plus encore, l’atteinte ainsi caractérisée au droit à l’emploi ne semble pas avoir le degré de gravité escompté pour justifier l’application du référé-liberté. Pôle emploi n’est chargé que de favoriser l’accession à l’emploi et de fournir des moyens pour y parvenir. Cette institution n’est pas tenue de trouver un emploi au demandeur. Aussi, l’inaction de Pôle emploi n’est pas un obstacle à ce que le demandeur d’emploi exerce une activité professionnelle salariée ou indépendante. À l’inverse, le respect par Pôle emploi des engagements qui lui sont imposés par la loi peut très bien n’avoir aucun impact sur la situation du demandeur d’emploi. Ainsi, les manquements relevés par le tribunal administratif de Paris n’empêche pas le demandeur d’emploi d’exercer son droit à l’emploi. La voie du référé-liberté devrait alors être fermée. Le Conseil d’État a, d’ailleurs, déjà exigé que l’action de l’Administration rende impossible l’exercice de la liberté fondamentale pour caractériser le degré de gravité nécessaire. Tel a été le cas d’une mesure d’expulsion du territoire français qui, parce qu’il faisait obstacle à la poursuite de la vie en commun des membres d’une famille, caractérisait une atteinte grave au droit de mener une vie familiale normale (CE 30 oct. 2001).

Cela devrait également contribuer à ne pas considérer que le requérant se trouve dans une situation d’urgence. Il est vrai que la durée des démarches engagées sans succès auprès de l’autorité administrative a été prise en compte pour qualifier une situation d’urgente (CE 4 déc. 2002, req. n° 252051), ce que l’on retrouve en l’espèce puisque le demandeur d’emploi n’a cessé pendant trois ans de requérir des rendez-vous et des formations auprès de Pôle emploi. L’urgence reste néanmoins encore étroitement attachée à l’importance des conséquences dommageables de l’action ou de l’inaction de la personne morale de droit privé ou de droit public. Le Conseil d’État entend d’ailleurs l’urgence comme celle qui nécessite qu’une mesure de sauvegarde d’une liberté fondamentale soit prise dans les quarante-huit heures (CE 28 févr. 2003, req. n° 254411). Et, si l’on retient que les manquements de Pôle emploi ne sont pas d’une gravité suffisante, faute pour le demandeur d’emploi d’être privé de la faculté d’exercer son droit à l’emploi, la condition tenant à l’urgence ne devrait pas être remplie. Tout au plus, le demandeur d’emploi devrait-il être admis à agir en réparation du préjudice subi.

Il serait donc plus qu’opportun, compte tenu du contentieux de masse que cet arrêt risque de provoquer, que le Conseil d’État soit saisi de la question.

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