Civ. 3e, 17 déc. 2013, FS-P+B, n° 12-15.916
La question du sort des constructions édifiées par le locataire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie. À défaut de convention contraire, leur sort est régi par les articles 1730 et 555 du code civil. La Cour de cassation décide, d’une part, que le contrat de bail ne fait pas obstacle à l’application de l’article 555 du code civil et, d’autre part, que le locataire, qui sait ne pas être propriétaire, est nécessairement de mauvaise foi.
La question de la bonne foi est, en effet, un enjeu important lorsque le propriétaire du terrain souhaite imposer la démolition des constructions. Le mécanisme de l’article 555 du code civil est le suivant : lorsqu’un tiers construit sur un terrain ne lui appartenant pas, le propriétaire de ce terrain peut soit demander la remise en état aux frais du constructeur, soit conserver les édifications à charge d’indemniser ce dernier. Lorsque le tiers est de bonne foi, le propriétaire perd le bénéfice de cette option et est tenu de verser une indemnité au constructeur.
La bonne foi s’entend par référence à l’article 550 du code civil : est de bonne foi le tiers qui « possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices ». Il s’agit d’une conception technique de la bonne foi qui diffère du sens général. Dès lors, le locataire, qui connaît sa qualité de non-propriétaire, est nécessairement de mauvaise foi au sens de l’article 555, et ce, même s’il a été autorisé à construire. La Cour de cassation estime en effet que l’accord donné par le bailleur ne fait pas du locataire un constructeur de bonne foi.
Mais les circonstances conduisent parfois la Cour de cassation à infléchir sa jurisprudence, ce dont l’arrêt rapporté fournit un exemple puisque la bonne foi du locataire est ici retenue.
Dans les faits, des locataires avaient édifié des bâtiments avec l’accord du propriétaire sur le principe de la construction, mais sans en prévoir le sort à l’issue du bail. Ils avaient, ensuite, cédé le droit au bail ainsi que la propriété de ces constructions. Ultérieurement, pour mettre fin à divers litiges, le locataire cessionnaire et le bailleur avaient convenu par transaction que leurs relations locatives ne portaient que sur les terrains nus. Mais, au terme du bail, un nouveau conflit était né, le locataire prétendant obtenir une indemnité d’éviction, tandis que le bailleur exigeait la démolition des bâtiments.
Pour accéder à la demande du locataire, la cour d’appel avait déduit des dispositions de la transaction que ce dernier avait qualité de propriétaire des constructions, ce qui, selon elle, lui permettait de se prévaloir de sa bonne foi au sens de l’article 550 du code civil.
Ce raisonnement était contesté devant la Cour de cassation au motif que le titre visé par l’article 550 concerne uniquement la propriété du sol sur lequel la construction est établie. Et l’argument soulevé dans le pourvoi ne manque pas de pertinence : si l’article 550 s’applique indifféremment à un bien mobilier ou à un bien immobilier, il ne concerne que la propriété du terrain lorsqu’il s’applique de manière combinée avec l’article 555, la référence à la bonne foi permettant de protéger celui qui construit en se pensant propriétaire.
La Cour de cassation ne répond pas à ce moyen, se contentant de rappeler le principe de l’application de l’article 555 du code civil en l’absence de toute convention réglant le sort des constructions, puis de préciser que les bailleurs ne pouvaient réclamer au locataire, tiers de bonne foi, sur le fondement de la transaction conclue, la suppression de celles-ci.
Si la Haute juridiction s’affranchit, en l’espèce, de l’acception technique de la bonne foi, une telle solution n’est pas inédite et il ne faut pas y voir un revirement de jurisprudence. Dans l’hypothèse où l’autorisation de construire avait été donnée par le bailleur, certaines juridictions ont été tentées de retenir la bonne foi du locataire pour des considérations liées à l’équité. La Cour de cassation, nonobstant la rigueur dont elle fait preuve s’agissant de la définition de la « bonne foi », n’y est elle-même pas toujours insensible. Elle a, par exemple, reconnu la bonne foi du locataire autorisé par un titre à construire.
Ainsi, sans remettre en cause sa jurisprudence antérieure, la Cour permet ici de retenir une conception plus souple de la bonne foi en raison des circonstances particulières de l’espèce. En pratique, pour pallier toute difficulté, il convient de régler expressément le sort des constructions érigées en cours de bail, sans omettre le cas échant de préciser la question de l’indemnisation due au locataire ainsi que son mode de calcul.
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