CEDH 4 oct. 2012, Harroudj c. France, req. n° 43631/09

Le refus d’adoption d’un enfant recueilli au titre de la kafala n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale.

Par cet arrêt, la CEDH se prononce pour la première fois sur la conformité du refus de prononcer l’adoption d’un enfant étranger recueilli par kafala à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit au respect de la vie familiale. Utilisée par certains pays de droit musulman dans lesquels l’adoption est interdite, la kafala, appelée également « recueil légal », permet de prendre en charge bénévolement un enfant dépourvu d’attaches familiales. Si les juridictions françaises autorisaient autrefois, sous certaines conditions, la transformation de ce mécanisme en adoption (Civ. 1re, 10 mai 1995, Bull. civ. I, n° 198), l’article 370-3 du code civil prévoit aujourd’hui que « l’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ».

Après avoir vu sa demande rejetée par les juges du fond, la requérante s’était pourvue en cassation sans rencontrer plus de succès. Devant la haute juridiction, elle prétendait, à la lumière des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant que sa filiation soit établie à son égard. Par un arrêt du 25 février 2009 (Civ. 1re, 25 févr. 2009, Bull. civ. I, n° 41), la Cour de cassation a réfuté cet argument. Elle a considéré, ainsi, que l’article 370-3, alinéa 2, du code civil était conforme à la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, celle-ci n’ayant vocation à s’appliquer qu’aux seuls enfants adoptables, excluant ceux dont le pays d’origine interdit l’adoption. Elle ajoutait que la kafala est expressément reconnue par l’article 20, alinéa 3, de la Convention de New York comme préservant l’intérêt supérieur de l’enfant. Sous l’angle de ce texte, cette institution est un moyen de recueillir un enfant privé de son milieu familial et permet donc à celui-ci de bénéficier d’un statut juridique protecteur de ses intérêts au même titre que l’adoption. La requérante a alors porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme en prétendant, notamment, que l’impossibilité d’établir un lien de filiation entre elle et l’enfant recueilli porte atteinte au droit au respect de la vie familiale, garanti par l’article 8 de la Convention.

La Cour considère tout d’abord que la requérante ne rencontre aucune entrave à l’exercice de sa vie familiale, de sorte que le refus de prononcer l’adoption ne saurait constituer une ingérence dans sa vie familiale. Elle observe, ensuite, que la question doit s’envisager eu égard à l’obligation positive incombant aux États d’assurer une protection juridique favorisant l’intégration de l’enfant dans sa famille (CEDH 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, n° 76240/01). Même si aucun droit à l’adoption ne découle de l’article 8 de la Convention (CEDH 22 janv. 2008, E.B. c. France, n° 43546/02), il résulte de ce texte une obligation d’assurer la formation et le développement des liens familiaux (CEDH 15 mars 2012, Gas et Dubois c. France, n° 25951/07). Relevant que la Cour de cassation a, en partie, fondé son refus sur les dispositions de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant qui considère la kafala comme une alternative à l’adoption, la Cour de Strasbourg estime également que cette reconnaissance de la kafala par le droit international est un élément qui doit orienter l’appréciation de la manière dont les États règlent les conflits de loi entre le pays d’origine et le pays d’accueil.

Le raisonnement de la Cour européenne tend ici à démontrer que la kafala permet à la fois d’assurer l’intégration et la protection de l’enfant et de garantir à la requérante la possibilité de mener une vie familiale normale. Ce mécanisme est reconnu par le droit français puisqu’en l’occurrence, il emporte des effets comparables à une tutelle dans la mesure où il permet à la demanderesse de prendre toute décision dans l’intérêt de l’enfant. En outre, en réponse à l’argumentation de la demanderesse, la Cour prend soin de préciser que si la kafala ne crée pas de lien de filiation, elle n’est pas pour autant un obstacle définitif à l’établissement de celui-ci. D’abord parce que l’article 370-4 du code civil prévoit une exception à la règle de conflit lorsque l’enfant est « né et réside habituellement en France » ; ensuite parce que le droit français octroie à l’enfant recueilli la possibilité d’acquérir automatiquement la nationalité française à sa majorité (C. civ., art. 21-7) ou en la sollicitant après avoir été élevé pendant cinq années par une personne de nationalité française (C. civ., art 21-12), autorisant ainsi in fine le recours à l’adoption. L’arrêt fait ainsi valoir qu’en palliant quelque peu l’interdiction de l’établissement de la filiation par l’adoption, la législation française respecte un certain équilibre entre l’intérêt de l’enfant de ne pas être coupé des règles de son pays d’origine et le droit à la vie privée et familiale de la requérante. L’attention portée à la sauvegarde de cet équilibre ne saurait toutefois occulter que cette solution s’explique aussi, dans une certaine mesure, par la volonté de la Cour de Strasbourg de ne pas faciliter le recours à une institution que les pays d’origine des enfants recueillis prohibent fermement.

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